EXTRAITS Le roman d'un salopard

 

ÉRIC : Allo Stéphane ? T'as essayé de m’appeler ?

STÉPHANE : Ouais, C’était il y a 4h

ÉRIC : Ah merde, c’était urgent ?

STÉPHANE : Non plus maintenant.

ÉRIC : De toute façon je suis en route, je comptais venir.  Je ne te dérange pas au moins.

STÉPHANE : - Maintenant ? Pas plus que d’habitude ? De toute façon, ça fait 30 ans que tu me déranges. T’arrives dans combien de temps ?

ÉRIC : (Éric entre à cours)Bah je suis là.Alors y a quoi sur Arte ?

STÉPHANE : - « les Angelots à Los Angeles » ils ont revu leur grille pour moi.

ÉRIC : - Ah Oui c’est ça, tu cherches l’inspiration.

Stéphane : Ris si tu veux. Quand je bloque sur mon roman, je regarde des cons à la télé en slip. Enfin Non les cons ne sont pas en slip… 

ÉRIC : Mais toi oui !Eh beh, t’es encore sur ton 31 aujourd’hui (il rit)

STÉPHANE : - Non c’est toujours là 12.

Regarde-le ce con. Ohhhh Kévin c’est une plancha à gaz, y a pas besoin de charbon. … Ahhh c’est sûr que c’est pas eux qui vont acheter mes livres, à part pour allumer le barbecue…Ils sont là posés sur leur trône. A se bronzer le fion H24, les empereurs du trou du culs, les Napoléons de l’oignon.

ÉRIC : - Le plus beau, c'est que tu passes ton temps à les regarder.

STÉPHANE : - Bah ouais ça me vide la tête à défaut de pas pouvoir remplir les leurs.

ÉRIC : - Mais c’est la tienne qui est vide, tu regardes cette merde sur la Tamagotchi que tu as acheté la semaine dernière.

STÉPHANE : - Tu m’en fais un beau de Tamagotchi, FUMAKOTSHI !

ÉRIC : - Tu sais combien ça coûte ?

STÉPHANE : - Ben ouais c’est moi qui l'ai payé. 300 000 et encore j’ai eu un prix.

ÉRIC : - Pourquoi tu t’en sers comme écran ?

STEPHANE : Bin dans la galerie ça rendait bien mais chez moi, ce truc en blanc, c’est moche, alors qu’en écran TV ça pète !

 

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STÉPHANE : - Bah oui c’est Claire.Elle m’a quittée

ÉRIC : - Encore ? C’est la cinquième fois depuis le début de l’année et on est qu’en Mai. Elle est comme ça Claire, elle s’en va mais elle revient toujours. C’est ta petite hirondelle.

STÉPHANE : - Oui, mais là elle ne reviendra pas, elle m’a laissé un mot. (il lui tend le mot)

ÉRIC : - Mais il n’y a rien sur ta feuille ?

STÉPHANE : - Bien vu, rien, c’est encore plus explicite. Tu écris mentalement ce que tu te reproches tout seul !

ÉRIC : - Et alors tu y lis quoi toi ?

STÉPHANE : - « Tu n’aimes que toi, alors reste seul ! », « je ne t’aime plus », « connard » ou « je ne t’aime plus connard ! »  Ce n’est pas original connard, elle m’aurait traité de salopard, j’aurai couru pour la garder, mais là…

ÉRIC : - Eh bien dis-toi qu’elle t’a traité de salopard et cours la récupérer ; tu l’aimes cette fille

STÉPHANE : - Non le salopard et le salaud reste !  Bref, on s’en fout, tu veux boire quoi ?

 

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ÉRIC : - À t'écouter, si un jour j’ai un cancer, c’est toi qui vas perdre les cheveux pendant ma chimio. C’est débile !

STÉPHANE : - Je n’ai pas dit ça !

ÉRIC : - T’es du genre à tousser quand j’ai la grippe, depuis toujours. Tu prends ma vie pour la tienne. Regarde, tu as encore ramené un cadeau à Cindy. Tu lui fais plus de cadeaux que moi. Tu n’es pas obligé d’acheter pour être aimé ! Chaque fois que tu lui en fais un, je passe pour le salopard qui ne lui en fait pas assez !

STÉPHANE : - Je croyais que c’était moi le salopard ?!

ÉRIC : - Je confirme, c’est toi le salopard ! (pause énervée, il va se servir un verre, il voit le cadeau pour Cindy) Pourquoi tu ne t’en fais pas un de gosse ? Un à toi à qui tu pourras offrir le Père Noël si ça te chante !

STÉPHANE : - Bah tu m’en as déjà fait une d’enfant. Qui me ressemble. Parfaite, même si moi je ne l'aurai pas appelé Cindy.

ÉRIC : - Connard !

STÉPHANE : - Parce que ça te plait toi Cindy ? On dirait le nom d’une pom-pom girl.

ÉRIC : - Ben oui ça me plait et à Sandrine aussi… (Stéphane le coupe)

STÉPHANE : - Ben moi, je ne l’aurais pas appelé Sandrine non plus. (après une pause de réflexion, sincère) Tu sais Éric, j’y ai pensé à avoir un enfant, mais ma pire hantise c'est d’avoir un enfant con.

ÉRIC : - (taquin) Et ben je vais te confier quelque chose, Papa avait la même hantise que toi !

STÉPHANE : - (avec légèreté, presque tendre) Et pourtant tu es là ! Et franchement je ne t’aurai jamais appelé Éric.

ÉRIC : - Pour une fois, on est d’accord.

(il sourit, pause, puis d’un ton plutôt gentil) Tu fais chier à tout critiquer tout le temps… À rabaisser tout le monde pour paraître plus grand ! Mais tu es grand Stéphane, je sais, tu es grand depuis, depuis tout petit ! Tu te rappelles Noël 98 ? Je rêvais du même maillot que Zidane ? Et qui l’a eu ? Toi.

STÉPHANE : - Oui et comme je n’ai jamais aimé le foot, qui l’a porté ? Toi !

ÉRIC : - Tu as toujours été son préféré, Papa nous avait confondu incroyable non ? Comment il a pu se tromper ? Premier né, premier en tout et tu l’es encore. Dix ans que tu lui parles plus, et il demande toujours de tes nouvelles…

STÉPHANE : - La place dont tu parles, tu sais, ce n’est pas moi qui l'ai choisi, c’est papa, tu viens de le dire. Ce n’était pas contre lui, mais tout ce qu’il nous proposait, je n’aimais pas. Et Maman pareil. Les manèges à sensations, les cirques Zapatoches, le scooter, le poulet frites du dimanche, les vacances à la plage avec tous les blaireaux dégoulinants sur les serviettes, non merci.

ÉRIC : - Oui et moi j’aimais ça. Et à cause de toi, les poulets courent toujours et on n’est jamais retourné à Deauville.

STÉPHANE : - Moi, je préfère les cailles, le cinéma et Courchevel.

ÉRIC : - Et remarque l’ironie de la chose, j’ai fait tout ce qui plaisait à papa, les bonnes études, le même métier que lui, et malgré tout, tu as toujours été son préféré. Je suis moins brillant que toi, c’est un fait. Et à la reprise de l’entreprise, c’était encore évident :  j’étais son second choix, parce que tu ne voulais pas te salir les mains.

STÉPHANE : - Les seules “mains sales” que j’aime ce sont celles de Sartres

ÉRIC : - (moqueur) Il bosse dans quelle entreprise ?

STÉPHANE : - Je n’écris pas à la plume, pour ne pas me tacher avec l'encre. J’allais pas me pourrir le costard avec du ciment dégueulasse. J'ai fait des études littéraires, je sais même pas tenir un tournevis. C’est comme ça, j’écris, c’est mon métier et j’ai deux mains droites. Je laisse les ongles noirs à ceux qui se les rongent !

ÉRIC : - Mot d’auteur ! Garde là pour ton roman celle-là… Il s’appelle comment déjà ton futur chef d’œuvre ?

STÉPHANE : - J’hésite encore, « Socrate et moi », non, « Moi et Socrate ».

ÉRIC : - Evidemment ! Pense à le terminer un jour… avant que Socrate ne ressuscite.

 

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ÉRIC : - Dis donc, où sont les gamelles du chat ?

STÉPHANE : - Ah, elles ne sont plus là.

ÉRIC : - Comment ça ? Qu'est-ce qui s'est passé ?

STÉPHANE : - Le chat est mort. Il a crevé comme un chien !

ÉRIC : - Et tu me dis ça comme ça ?  C’était le chat de Maman putain.

STÉPHANE : - Ce n’est qu’un chat. Il était vieux et moche, mourir c’est naturel et presque une aubaine pour lui.

ÉRIC : - Ce chat c’est plus qu’un chat Stéphane. C’est la seule chose vivante qui nous reste de Maman.

STÉPHANE : - Et Papa…

ÉRIC : - Oui et Papa. Tu l'as enterré où ?

STÉPHANE : - Qui ça Papa ?

ÉRIC : - Rohhhhhhhh

STÉPHANE : (il prend son téléphone) - Déborah dites-moi, le petit chat est mort enfin le vieux chat. Vous voulez faire ce qu’il faut ? Mais non, pas de pompe funèbre. Mais je n’en sais rien moi, enterrez-le au fond du jardin ou mettez-le au local poubelle… (à son frère) J’ai un doute, un chat roux, on le met où ? Poubelle jaune ou verte ? (il rit)

ÉRIC : - T’es dégueulasse Stéphane ! Passe là moi.

STÉPHANE : Oh ça va je rigole, (montrant le téléphone) il n’y a personne au bout du fil. Et y’a pas de fil non plus!

ÉRIC : - Non mais sérieux t’en as fait quoi du chat ?

STÉPHANE : Il est mort hier le matou, alors sépulture express, je l’ai mis dans une boîte à chaussure. Mais attention pas n’importe laquelle, cercueil de luxe, façon Gainsbourg. Une boite de Repetto blanche, oui, pas de pompes funèbres on avait dit.  (en imitant Gainsbourg) « classieux non ?

On lui fera une place dans le caveau familial si tu y tiens… Je peux même lui laisser ma place d’ailleurs, une éternité de bois avec toute la famille, merci. Déjà que j’aime pas les repas de famille… (il rit) je suis contre les repas et les repos de famille ! (…)

(Éric a la boite du chat sur les genoux)

ÉRIC : - Bon on en fait quoi de ce chat ?

STÉPHANE : Ben on le mange ! (en prenant une boîte de pâté du chat) Chat au saumon, ça te va ?

 

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STÉPHANE : - En revanche pour papa, c’est autre chose, je vais te le dire moi le problème, papa me préfère à toi, parce que je lui résiste. Tu lui as toujours dit oui. C’est pour ça qu’il te méprise. Moi j’étais trop fougueux, il a essayé de me dompter à coups de cravaches… Mais voilà, moi je suis un cheval sauvage, pas un mouton.

ÉRIC : - Moi non plus je ne suis pas un mouton

STÉPHANE : - Tu as suivi le berger non ? T’es un mouton.

ÉRIC : - Salaud ! Tu vas trop loin.

STÉPHANE : - Trop loin ? Je ne crois pas, c’est juste la vérité de ta vie. (…)

ÉRIC : - Tu sais Stéphane, quand les gens te voient pour la première fois, ils trouvent que tu es un gros con, prétentieux, eh bien tu vois, je peux pas leur donner tort…